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Eléments d'histoire

A la fin du XVIème siècle, catholicisme et protestantisme coexistent officiellement dans le royaume de France. En mettant fin aux guerres de religion qui avaient ensanglanté le pays pendant une trentaine d'années, Henri IV a promulgué à Nantes en avril 1598, un édit de « pacification et de tolérance ». Les protestants obtenaient la liberté de culte, l'accès à toutes les charges et professions, le droit de tenir des assemblées politiques et celui de garder des places fortes au nom du roi pour assurer leur sécurité. Suite à la dernière guerre de religion, dirigée dans le Sud-Ouest par le duc de Rohan, le roi Louis XIII leur retira ces deux derniers droits par l'édit de Grâce d'Alès en 1629.

Cependant, la coexistence avec les catholiques fut en général pacifique pendant la première moitié du XVIIème siècle. Tout changea après la prise du pouvoir par Louis XIV en 1661 ; il commença à faire appliquer « à la rigueur » l'Édit de Nantes : des commissaires, l'un catholique et l'autre protestant, étaient chargés d'examiner si les temples édifiés l'étaient en conformité avec le texte de l'Édit. Sinon, ils devaient être détruits. Cela entraîna des procès dont certains durèrent parfois plus de vingt ans. Le roi s'attaqua ensuite aux protestants sur d'autres plans, faisant interdire certaines professions (telles celles de sage-femme et de médecin), la possession d'offices, la vente de leurs biens, la sortie du royaume sans justification, sous peine de mort et, plus tard, sous peine des galères. Il fut permis aux enfants de sept ans de se faire catholiques s'ils le voulaient et, par ailleurs, les conversions furent encouragées. Outre les moyens classiques de la prédication et des missions, on organisa une caisse des conversions. Mais, surtout, l'intendant de Poitou, Marillac, eut l'idée d'utiliser des convertisseurs « bottés », des dragons logés chez les protestants avec liberté d'y agir à leur guise. La terreur qu'ils suscitèrent provoqua des conversions massives.

Et le roi, persuadé par les bulletins de victoire qu'il recevait, que le protestantisme n'avait pratiquement plus d'adeptes en France, promulgua en octobre 1685 l'Édit de Fontainebleau qui révoquait celui de Nantes. Peu de temps après, en 1686, le duc de Savoie, allié du roi de France, exilait, des vallées piémontaises où ils s'étaient établis, les vaudois, proches des réformés.

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Le Grand Refuge

De nombreux religionnaires qui ne pouvaient supporter cette atteinte à leur identité profonde ni de faire mener une double vie à leurs enfants prirent alors le chemin de l'exil à grandes difficultés, puisqu'il leur était interdit d'émigrer. Ils voyageaient la nuit, se cachant le jour, obligés, dès qu'ils avaient quitté le territoire qui leur était familier, de s'en remettre à des passeurs, à leurs risques et périls.

Comme au XVIème siècle, ils espéraient trouver un lieu provisoire pour être en sûreté, qu'ils pourraient quitter pour rentrer en France une fois la tourmente passée. Cet espoir se révéla vain, l'exil fut définitif et les huguenots d'émigrants deviendront immigrants. En effet, lors des négociations pour la paix de Ryswick, en 1697, Louis XIV répondit par un refus catégorique aux représentants des huguenots. On estime que sur une population protestante d'environ 800.000, alors que la population du royaume s'élevait alors à environ 20 millions d'habitants, un peu moins de 200.000, c'est-à-dire près de 25%, quittèrent le royaume. Leur exode et leur installation dans les pays d'accueil portent le nom de « grand Refuge » à cause du nombre très important de personnes concernées et par opposition avec le Refuge du XVIème siècle, plus limité.

Les chemins de l'exil

Quand il est clandestin, tout exil prend des chemins qui ne correspondent pas toujours à une logique géographique. Il est parfois plus sûr de prendre une route plus longue, de passer par des lieux où l'on est inconnu, de se fondre, un temps, dans la foule d'une grande ville. Il n'est donc pas si rare de trouver en Allemagne des fugitifs originaires des provinces maritimes de l'ouest qui font ce détour pour se rendre en Hollande ou en Angleterre.

Les protestants de la façade ouest et du nord du royaume - Normandie, Bretagne, Orléanais, Berry, Anjou, Touraine, Maine, Poitou, Saintonge, Aunis, Angoumois, basse Guyenne, Picardie, Île-de-France en partie - se dirigent surtout vers les îles britanniques ou les Provinces-Unies des Pays-Bas. C'est à partir d'Amsterdam et de Londres que les fugitifs partent s'établir qui à l'intérieur de ces pays, qui vers leurs colonies, qui enfin vers d'autres pays du Refuge.

Les protestants du sud et de l'est - Languedoc, haut et bas, Cévennes, Vivarais, Provence, Dauphiné, auquel se rattachent les vallées piémontaises sous domination française, Bourgogne, Champagne, Île-de-France, Lorraine - se dirigent d'abord vers l'Allemagne rhénane, mais surtout vers la Suisse, c'est-à-dire les cantons évangéliques, la république de Genève, la principauté de Neuchâtel et les Ligues grises. Ils ne peuvent tous y rester et sont conduits pour la plupart vers l'Allemagne, par Bâle et Schaffhouse, principaux points de sortie de Suisse.

De Schaffhouse, des groupes, une fois formés, se dirigent sous la conduite d'un guide vers Erlangen, Bayreuth et le Brandebourg ou encore par Heidelberg jusqu'à Francfort-sur-le-Main. De Bâle, d'autres descendent le Rhin, reprennent pied au sud du confluent du Rhin et du Main et, de même, sont conduits vers Francfort. La ville est une véritable « plaque tournante » du Refuge. Assistés financièrement et matériellement, soignés, réconfortés par l'Église française, les fugitifs ne peuvent demeurer dans la cité impériale : elle est luthérienne et n'admet plus en ses murs des représentants d'autres confessions, sauf exception. Aussi cherchent-ils à atteindre des pays dans lesquels ils espèrent pouvoir s'établir soit parce qu'il y a déjà des communautés francophones (Provinces-Unies, Palatinat, nord de la vallée du Rhin en Allemagne), soit parce que des souverains protestants sont prêts à les recevoir.

Les pays d'accueil

Tout d'abord, la Suisse. Les fugitifs qui y parviennent souhaitent pour la plupart y rester jusqu'à ce que le roi prenne conscience, espèrent-ils, de l'erreur commise et leur permette de rentrer. 60.000 fugitifs seraient ainsi passés par la Suisse où ils ont été généreusement assistés. Pour cela, certains cantons augmentent les impôts, d'autres préfèrent le système des collectes. Des bourses des pauvres sont organisées dans les Églises ; elles octroient des passades (passade est synonyme de viatique) aux réfugiés qui arrivent et assistent les plus pauvres qui restent. Cependant le pays n'est pas riche et seulement 20.000, probablement moins, s'y seraient fixés. Ce sont essentiellement les états, villes et cantons francophones qui les ont accueillis.

En Allemagne, ils se rendent en premier lieu dans les principautés calvinistes : la Hesse-Cassel dont le landgrave a promulgué dès avril 1685 un édit d'accueil et de privilèges, la Hesse Hombourg, le comté de Lippe, le Palatinat. Ils sont aussi largement invités à venir s'installer en Brandebourg où le Grand Électeur, prince calviniste de sujets luthériens, a publié en novembre de la même année l'Édit de Potsdam. Plus tard, la pression des réfugiés et des princes se faisant plus forte, des états luthériens, Bayreuth Anspach, Hesse Darmstadt ou des villes, Stuttgart, Nuremberg, acceptèrent aussi d'en recevoir. Environ 44.000 huguenots se fixèrent définitivement en Allemagne, dont 20.000 en Brandebourg Prusse.

Les Provinces-Unies - la grande Arche du Refuge - accueillirent d'après la tradition 50.000 fugitifs. Les Églises francophones, wallonnes, fondées au XVIème siècle, y étaient fort nombreuses. Villes et provinces prirent des mesures pour faciliter l'installation des huguenots : Amsterdam qui voulait assurer le développement d'industries de luxe, Groningue, les provinces de Hollande et de Frise ... Il est cependant difficile de savoir avec précision, dans l'état actuel des recherches, combien restèrent dans le pays tant les passages, par Amsterdam surtout, l'autre plaque tournante avec Francfort du Refuge, furent nombreux et incessants. On y arrive, on en repart, vers l'intérieur du pays, vers l'Angleterre - surtout quand Guillaume d'Orange en est devenu roi - mais aussi vers des terres lointaines comme l'Afrique du Sud.

La Grande-Bretagne recueillit 40 à 50.000 huguenots Là aussi existaient des Églises fondées lors du premier Refuge au XVIème siècle. Persécutées par Marie Tudor, elles avaient retrouvé leurs droits depuis le règne d'Élisabeth. Les réformés s'installèrent dans les grands centres de Canterbury et surtout de Londres où l'on compta en 1700 jusqu'à quatorze Églises françaises mais aussi dans le reste de l'Angleterre, en Écosse et en Irlande que des protestants français, encouragés par les anglais et soutenus un temps par leur roi, voulaient transformer en île huguenote.

Très minoritaires, d'autres s'établirent bien plus loin : dans les états protestants du nord de l'Europe, Danemark, Norvège, Suède et jusqu'à Saint-Pétersbourg et outre mer, en Afrique du Sud ou dans les colonies britanniques d'Amérique du Nord.

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Au moment de leur départ, les fugitifs ne voulaient pas s'éloigner de la France. Ils y furent contraints par l'intransigeance de Louis XIV, par l'afflux de nouveaux fugitifs et par la volonté des gouvernements des pays de passage ou d'accueil. Nombreux parmi les plus faibles et les plus pauvres sont restés des déracinés et sont devenus des marginaux du Refuge, passant d'Église en Église jusqu'à leur mort. Toutefois, la très grande majorité a fini par s'installer et a survécu. A la fin du XVIIIème siècle, le processus d'assimilation, plus rapide ici, plus lent là, est terminé et, inéluctablement, les descendants des huguenots fugitifs sont devenus les meilleurs des anglais, des hollandais, des allemands ou des suisses.